samedi 10 novembre 2012

La dérive oligarchique naturelle des régimes politiques

LA DERIVE OLIGARCHIQUE NATURELLE DES REGIMES POLITIQUES

Un excellent texte d'André Gandillon, rédacteur en chef du journal nationaliste français Militant (http://www.journal-militant.fr/).


Tout système politique est incarné par des hommes qui tissent des liens humains et sociaux et il est ainsi conduit à devenir un système oligarchique, à des degrés différents d'organisation.

Qu'est-ce que l'oligarchie ?
Qu'appelons-nous oligarchie ? Il s'agit de ce petit noyau de personnes qui se connaissent assez pour travailler ensemble sans relations formelles et qui partagent une même vision des choses et les mêmes objectifs. Sous cet aspect, les oligarchies existent toujours et tendent sans cesse à se constituer ou à se reconstituer.
Cette évolution est présente dès l'installation d'un système politique lorsqu'une nouvelle équipe d'hommes accède aux fonctions dirigeantes d'un Etat et d'une société. La raison en est que tous se connaissent à des degrés divers, unis par des liens plus ou moins forts, familiaux, amicaux, de camaraderie politique forgée à l'épreuve de l'action notamment, et nourris par intérêt commun à servir à la réussite de l'entreprise à laquelle ils sont attachés.
Ces liens tissent dès l'origine un réseau relationnel qui conduit à constituer un groupe de personnes qui travaillent ensemble, disposent de moyens d'information privilégiés et de facilités de travail auxquels ceux qui se trouvent en dehors ne peuvent accéder et ne peuvent participer.

La cristallisation oligarchique
Cette cristallisation relationnelle est plus largement le propre de toute société, qu'il s'agisse d'une nation, d'une association, d'une entreprise, dès lors que celles-ci regroupent un nombre important de personnes. Et ce processus commence dès que la société concernée rassemble quelques dizaines de personnes. Il s'intensifie fortement avec l'augmentation du nombre des sociétaires et s'affirme avec force lorsqu'il s'agit de plusieurs milliers de personnes.
Toute organisation – et l'Etat en une – constitue une société humaine qui est nécessairement délimitée, ne serait-ce que par le réseau plus ou moins complexe de connections se mettant en place et se structurant en fonction de l'objectif commun à atteindre. Aucun système, aucun dispositif ne pourra éviter un tel état de fait.
Au fil du temps, la structure oligarchique se complexifie : des réseaux, des cercles multiples imbriqués les uns dans les autres, en quasi-totalité informels, le plus souvent discrets se constituent et se multiplient. Ils sont mouvants, au gré des personnes et des intérêts, peuvent être durables ou éphémères.
Cette réalité fait qu'ils sont généralement difficiles à saisir et à identifier. Les régimes oligarchiques ne sont pas structurellement simples. En général, les instances dirigeantes d'un Etat ne dépassent pas quelques dizaines de personnes pour le premier cercle du pouvoir, quelques centaines pour le deuxième cercle, qui est l'antichambre du pouvoir, puis plusieurs milliers pour les multiples structures formelles ou informelles de troisième cercle, les relations entre ces différents cercles étant plus ou moins fluides selon les personnes et les époques, avec parfois cette possibilité de passer rapidement de l'arrière plan au premier plan.
Quel que soit le régime, il se constitue un lieu qui est le centre du pouvoir, c'est-à-dire l'organisme, ou le groupe des personnes qui influencent, voire dictent la ligne d'action du régime en place si le chef du pouvoir est affaibli. En France, en ce qui concerne l'Etat, le lieu majeur, le corps principal qui influe sur les gouvernements qui se succèdent, avec lesquels il a su tisser des relations au cours de la vie politique et administrative de l'Etat dès avant leur accès aux fonctions dirigeantes nominales, est le petit groupe des inspecteurs des finances occupant les centres de décision du ministère des finances.

Lieux oligarchiques
Plus largement, pour rester en France, le club assez informel, mais réel qu'est "Le Siècle" constitue le lieu, l'instance où se nouent les relations de l'oligarchie du régime républicain, qui se perpétue ainsi par cooptation, et qui relie, fédère les différentes sources de pouvoir existant dans une société, qu'il s'agisse du pouvoir politique, du pouvoir économique, des pouvoirs médiatique et intellectuel, cela sans omettre les liens extra que ces personnes nouent internationalement avec des cercles relationnels transnationaux, comme c'est le cas depuis des décennies.
Face à cette réalité du pouvoir, le Parlement pèse assez peu la plupart du temps, surtout lorsque les dirigeants de ces assemblées parlementaires sont eux-mêmes issus ou membres de ces centres de pouvoir effectifs.
Nous pourrions continuer avec les Etats-Unis où le pouvoir politique est fortement dépendant de quelques banquiers, des cercles comme le CFR ou les Kull and Bones … Dans l'URSS, le pouvoir dépendait principalement d'un petit noyau de responsables du Parti communiste, du GRU et du KGB.
Les formes que peuvent prendre ces oligarchies varient dans le temps. De nos jours, se développe surtout un système de réseau qui regroupe des personnes disposant d'un réseau relationnel qui leur permet d'accéder rapidement à des informations et de bénéficier de passe-droits, d'avantages qui créent un pouvoir de fait et le renforcent en intensifiant ces connexions. Le caractère de plus en plus technique des fonctions du pouvoir fait que les techniciens sont de plus en plus nombreux parmi les personnels gouvernementaux et disposent d'un pouvoir de décision accru, imposant des solutions techniques là où devrait s'exercer l'art du politique : cette technocratie, parfois confondue avec les responsables politiques, constituent de puissantes oligarchies. Et s'ils ne dirigent pas eux-mêmes, ils orientent les décisions des responsables nominaux.
Les oligarchies sont des lieux de privilèges qui facilitent les relations, l'efficacité des actions politiques et qui échappent à tout contrôle effectif autre que celui qu'elles-mêmes veulent bien accepter.

Les dangers de la sclérose
Quelle que soit la nature d'un régime politique, celui-ci tend naturellement à se consolider, à se rendre immune mais, par là même à s'ossifier puis à se scléroser. Les oligarchies participent largement à ce processus.
Le danger provient de ce qu'il contient les germes d'une dégradation qui peut mettre en péril l'existence de ce régime politique mais aussi, plus gravement encore, l'existence même de cette société. Il revêt plusieurs aspects concourants.
Le premier aspect résulte du repli sur soi et de la coupure qui finit par s'établir entre la masse des dirigés et les dirigeants et la déconnexion qui tend à exister entre la vision que ces cercles ont du réel et le réel lui-même, le pouvoir isolant très vite ceux qui le détiennent de la réalité de la société concernée.
La sclérose de la pensée de ces cercles oligarchiques en résulte et cet isolement a pour conséquence la conduite d'une politique inadaptée aux besoins de la société, dont le plus grand travers est la coupure entre les cercles dirigeants et la population, la dérive ultime résidant, second aspect du danger, dans l'accaparement et la confiscation du pouvoir de l'Etat – ou de l'organisme concerné – au profit exclusif des cercles dirigeants transformés en une caste dirigeante et desservant ainsi l'intérêt général de la dite société, ce qui pour une nation est le bien commun national.

Le cas de la démocratie
Le système démocratique présente théoriquement l'avantage d'éviter une telle ossification dans la mesure où les cercles dirigeants du pouvoir sont appelés à être renouvelés toujours assez rapidement, les mandats électifs étant régulièrement remis en cause et permettant le changement de personnel.
Mais outre que le procédé électif par mandatures périodiques s'effectue au détriment de la continuité de la politique à mener, il apparaît que le système démocratique, en tant que système cohérent, constitue un cadre organisationnel structuré et défendu et animé par des hommes qui, bien que divisés sur des idées, sur des conflits d'intérêts personnels, ou de groupes, se retrouvent tous unis dans une même adhésion aux fondements du système en place auquel ils participent. Une oligarchie régimiste, en dépit des divergences internes, se constitue, et sait toujours – ou quasiment toujours- s'entendre sur ce qu'il faut faire, ou ne pas faire, pour éviter la mise en péril du régime qui les rassemble et par suite leur propre situation.
Ils constituent donc, au delà de leurs divergences et de leurs querelles personnelles, une communauté d'intérêts. D'ailleurs, ces divergences, normales de par la nature humaine qui fait que les gens développent des avis, des analyses différentes sur les sujets à traiter, ne doivent pas faire illusion : pour importantes qu'elles puissent apparaître, elle ne prennent cette importance que par la théâtralisation dont elles sont l'objet, médias aidant. La mise en scène du débat politique partisan, institutionnalisé, mais que trop souvent les connivences et les ententes de fond qui les unissent, à savoir assurer la pérennité du système. Si un mouvement politique ne partage pas les principes fondateurs du système, il est inévitablement ostracisé et l'oligarchie régimiste sait généralement s'unir pour le réduire.
De par leur appartenance au régime qu'ils ont intérêt à maintenir, ces personnels politiques en arrivent à constituer un ordre oligarchique dont les liens se renforcent avec le temps à travers les sources et des canaux multiples par la technocratie, les écoles.
Des connections complexes, discrètes, se nouent à travers ces affluents, d'autant plus que la barrière entre exécutant et dirigeant est loin d'être nette.
En outre, la non distinction du magistère et du pouvoir politique en démocratie aggrave la confusion car tous relèvent peu ou prou du même magistère, soit qu'ils sont soumis sincèrement ou soumis par intérêt, les intentions intérieures ne comptant pas, les hommes étant la somme de leurs actes.
Le rôle de la cooptation, qu'elle soit tacite, par sélection mandarinale à travers les écoles ou par sélection explicite est ici primordial pour assurer la reproduction de ces oligarchies.
La communauté d'intérêt, de famille par les alliances matrimoniales qui ne manquent pas de naître contribuent à la constitution d'une oligarchie mais aussi à sa sclérose et à son blocage : l'oligarchie, ou les oligarchies ne se renouvellent plus par apport de sang neuf venant des différentes couches de la population.

Quels remèdes possibles ?
Si la dérive oligarchique sous-tend l'évolution de tout système politique, tout l'art du politique consistera, en la matière, à éviter que cette ossification tendancielle ne produise une sclérose qui nuise à l'ensemble de la société, de la nation. Bien évidemment, l'état de santé spirituel et moral du peuple et de ses élites est primordial.
Sous cette condition, l'art du politique consistera donc à mettre en place des mécanismes qui combattent la tendance à la sclérose oligarchique, par son non renouvellement, et les dangers mortels qu'elle contient, mécanismes qui doivent être de juste mesure (à développer) La fluidification du renouvellement des élites d'une nation est donc la condition première, en permettant l'accès des meilleurs éléments de chaque génération aux fonctions dirigeantes, quelle que soit leur origine sociale et le corps intermédiaire dont ils sont issus.
La structure sociale fondée sur les corps intermédiaires permet cette fragmentation de l'ossification oligarchique car elle offre de multiples souverainetés permettant à la fois de tempérer les échelons supérieurs et de permettre l'émergence de personnalités aux compétences multiples et en mesure de faire preuve de leurs capacités.
Mais il importe de placer en tant que principe fondateur le principe de la primauté du politique. Le pouvoir d'Etat ne peut être l'expression d'une oligarchie et de ses intérêts propres. Il doit être en mesure de la dominer. L'exercice n'est pas aisé car les cercles de pouvoirs s'interpénètrent inévitablement à des degrés certes différents, mais aussi et surtout s'influencent. Ce qui importe, c'est d'avoir un pouvoir d'essence monarchique qui les soumet, les contrôle, soit en mesure de les dissoudre le cas échéant, sachant que l'oligarchie – ou des oligarchies - tendent toujours à se constituer.
L'autre moyen permettant d'éviter l'ossification d'un régime et par suite son blocage est de permettre l'émergence de ce que l'on appelle le "pouvoir d'en bas". Le principe du référendum d'initiative populaire est un élément majeur de ce dispositif, pourvu qu'il soit utilisé dans des conditions précises que nous ne pouvons aborder ici, faut de place..
Il faut que ce référendum soit à la fois un moyen d'expression de la masse sans pour autant que celle-ci acquière un pouvoir qu'elle n'a pas la capacité d'exercer. Le référendum ne peut se pratiquer que dans de petites communautés.
En pratique, une équipe dirigeante efficace ne devrait pas avoir à être confrontée à cette extrémité car si elle est en communion permanente avec la population, elle gouverne en symbiose avec ses mandants, évitant les divergences notoires et durables.
Sur la longue durée, l'exercice consistant à éviter la dérive oligarchique d'un régime politique est chose difficile. Toutefois, une société démocratique, atomisée comme celle que nous connaissons; dans laquelle il n'existe plus qu'une masse indifférenciée d'individus face à des pouvoirs éloignés d'eux et soumise à l'abrutissement médiatique quotidien, n'est certainement pas la solution à ce travers tendanciel des sociétés humaines. Nous le vivons tous les jours.

André GANDILLON
http://www.journal-militant.fr/

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