PATRIOTISME ET SOCIALISME
Est-ce que le
socialisme peut être compatible avec le patriotisme? Si l’on se fie à une
certaine partie de ce qu’on appelle généralement la «gauche», ce sont deux
termes antagoniques et toute idée de faire une synthèse des deux est rejetée du
revers de la main. La fierté patriotique est un sujet bien souvent tabou parmi
les gens de gauche qui dans certains cas n’hésitent pas à lancer de manière
indiscriminée les épithètes de racistes, xénophobes, voire fascistes à la tête
de ceux qui s’en réclament. Selon une organisation anarchiste bien connue au
Québec et dissoute en 2014, l’UCL (Union Communiste Libertaire), le
nationalisme ou patriotisme divise la classe ouvrière et tend à créer des
sentiments de solidarité entre bourgeois et ouvriers au sein d’une même nation
(1). Les travailleurs n’ont pas de patrie est leur mot d’ordre le plus courant!
Comme si au départ les travailleurs ne naissaient pas au sein d’une nation
déterminée! La classe ouvrière est bien sûr internationale, dans le sens
qu’elle existe dans tous les pays, mais chaque ouvrier et chaque ouvrière vient
au monde dans un pays avec une langue et une culture particulières.
Bien souvent les
anarchistes et d’autres courants de la «gauche» nous servent la rengaine de la
nécessité d’un monde sans frontières ou tous les travailleurs et travailleuses
vivraient dans la fraternité, l’amour sans limites et ou tous les conflits
nationaux et ethniques disparaitraient comme par magie! Bien sûr les conflits
entre nations et pays ne sont pas un élément positif dans la vie politique
internationale et génèrent souvent des tragédies et des désastres sans nombres.
Ceci dit la disparition des frontières n’est en aucune manière une panacée pour
éviter ce genre de conflits meurtriers et dévastateurs. Elle pourrait même au
contraire favoriser les guerres interethniques, car il n’y aurait plus de
barrières pouvant empêcher ou du moins freiner dans ses ardeurs une armée
d’envahir un territoire voisin. Nous pouvons très bien être de fiers patriotes tout
en soutenant les peuples et les travailleurs en lutte partout dans le monde. Un
patriotisme rationalisé et pensé n’empêche nullement la solidarité
internationale et internationaliste.
Il ne faut pas
oublier non plus que le capitalisme, comme le disait si bien le syndicaliste
Michel Chartrand, est un système apatride (2). Les capitalistes font la
promotion de la mondialisation ultralibérale brutale et impitoyable, qui
piétine les différentes cultures et identités nationales ainsi que les droits
et les acquis sociaux durement gagnés de la classe ouvrière. Ils font tout pour
niveler par le bas nos conditions de vie et de travail par le biais d’une
uniformisation destructrice. Contrairement à certains mythes propagés par des
militants soi-disant «internationalistes», les patrons ne sont pas
particulièrement attachés aux sentiments patriotiques et à la défense de la
patrie, même si parfois ils se servent de ça dans le but de se donner une
façade de respectabilité face aux travailleurs de leur nation. Ils le font bien
souvent dans le but d’arracher des sacrifices aux producteurs de la richesse, en leur affirmant
de manière tout à fait mensongère et démagogique que «l’intérêt national» exige
des concessions dans le but de «sauver» l’économie du pays face à ses
concurrents.
Dans le cas du
Québec, les capitalistes nationaux si on peut les appeler ainsi, ne se sont
jamais illustrés dans leur soutien à la lutte pour l’indépendance nationale ni
dans le combat pour la défense de la langue et de la culture françaises. Lors
des deux référendums, en 1980 en 1995, les principaux organismes patronaux,
dont le Conseil du Patronat du Québec, ont appelé à voter Non. Les patrons qui
étaient reconnus pour leurs convictions nationalistes, comme Claude Béland du
Mouvement Desjardins et feu Pierre Péladeau de Québécor, sont demeurés plutôt
silencieux lors de la campagne référendaire de 1995. Le mouvement
indépendantiste québécois était et est toujours bien plus soutenu par les
syndicats, les groupes populaires, les groupes féministes et ce sont eux qui
sont à l’avant-plan des mobilisations pour l’indépendance et la défense de la
langue française et ce depuis les années 1960. Il y a eu différents mouvements
socialistes dans l’histoire qui ont appuyé la lutte de libération nationale du
peuple québécois, dont le Parti Communiste du Canada Français dirigé par le
syndicaliste Henri Gagnon, le Rassemblement pour l’Indépendance Nationale
(RIN), le Front de Libération Populaire (FLP), le Mouvement Socialiste, le
Parti Marxiste-Léniniste du Québec et Québec Solidaire, même si le discours
socialiste et indépendantiste de cette formation peut sembler tiède à
plusieurs. La Coalition contre le projet de loi 103, devenu ensuite la loi 115,
sur les écoles passerelles pour contourner la loi 101 et permettre ainsi à des
enfants francophones et allophones de s’inscrire à l’école anglaise, compte
dans ses rangs de nombreux syndicats, comme la CSN (Confédération des syndicats
nationaux) et la CSQ (Centrale des syndicats du Québec) et aucun organisme patronal
(3). C’est donc clair que les capitalistes québécois, dans leur très grande
majorité, ne cherchent nullement à mousser le sentiment patriotique québécois
et sont au contraire très complaisants face à l’anglicisation rampante, alors
que le mouvement ouvrier et populaire exprime de profondes préoccupations à cet
égard. L’affirmation trop facile que tout sentiment patriotique et nationaliste
est nécessairement bourgeois est donc réfutée par ces exemples tirés de la vie
politique québécoise.
Si nous prenons le
temps d’analyser les expériences socialistes du XXème siècle, nous pouvons
facilement constater qu’elles n’ont nullement été dépourvues de tout
patriotisme. Le grand dirigeant soviétique Joseph Staline a décidé de se
concentrer sur la construction du socialisme dans un seul pays, en l'occurrence
l'URSS, suite à l'échec des révolutions en Europe dans les années 20. Il a su
faire appel aux sentiments patriotiques russes lors de la 2ème guerre mondiale
contre l'agression nazie. Staline a été l'inspirateur et le concepteur du
socialisme patriotique et a combattu sans compromis le cosmopolitisme. La
Révolution Cubaine en 1959 a chassé les exploiteurs impérialistes yankees du
sol cubain et a permis au peuple de ce pays de retrouver la dignité et la
fierté nationales tant bafouées depuis des décennies. Fidel Castro n’a pas
hésité à prononcer son fameux «La patrie ou la mort. Nous vaincrons!» lors d’un
discours à La Havane en 1960. Il ne faut pas oublier que la Révolution cubaine
a été initiée par un mouvement national-révolutionnaire de gauche, le M-26,
comme en retrouve tant en Amérique Latine. La Révolution chinoise en 1949 a été
le résultat et le couronnement d’une lutte de libération nationale contre
l’impérialisme japonais et aussi contre
l’interventionnisme yankee dès la fin de la Deuxième guerre mondiale.
D’ailleurs Mao-Tsé-Toung, qui était le chef du Parti Communiste chinois à
l’époque, a déjà dit : «Le communiste, qui est internationaliste, peut-il être
en même temps patriote? Nous pensons que non seulement il le peut, mais qu’il
le doit. Ce sont les conditions historiques qui déterminent le contenu concret
du patriotisme... Car seul le combat pour la défense de la patrie permet de
vaincre les agresseurs et de libérer la nation» (4).
Les extraits cités
démontrent clairement que Mao, contrairement à certains gens de gauche
québécois qui se réclament de lui, ne dédaignait le patriotisme et le
considérait comme un élément essentiel de sa pensée politique. Comme le disait
si bien le dirigeant communiste albanais Enver Hoxha: «Aux moments difficiles
que connaissait alors la patrie, face aux dangers qui menaçaient son existence,
nous, communistes, nous devions, certes, nous appuyer solidement sur les riches
traditions patriotiques et combattantes de notre peuple, sur sa ferme volonté
de s’unir dans la lutte pour la liberté» (5). Certains peuvent nous répondre en
affirmant au fond que le Québec n’est pas une nation occupée militairement et
qu’ils soutiennent seulement les peuples qui font face à des agressions militaires.
Même si le Québec ne subit pas une occupation militaire directe de la part de
l’impérialisme anglo-canadien, il est toujours dominé par ce dernier et son
droit à l’autodétermination nationale n’est nullement reconnu dans les faits.
La révolution
yougoslave dirigée par le maréchal Tito en 1945 est un excellent modèle de
lutte de libération nationale réussie. Josip Broz Tito a su défendre
l'indépendance de son pays face à des adversaires redoutables. Il a adapté le
socialisme aux conditions de son pays et a joué un rôle de premier plan dans le
mouvement des pays non-alignés qui refusait de se mettre au service d'une
superpuissance ou l'autre. En 1967, la Yougoslavie de Tito n'a pas hésité à
rompre ses relations avec Israël en solidarité avec les peuples arabes (6).
A partir du mois
d'avril 2014 jusqu'au 1er octobre 2018, le Québec est à nouveau sous la férule
d'un gouvernement libéral et résolument fédéraliste, foncièrement hostile à
toute volonté de libération nationale et qui a mis en oeuvre un programme
draconien d'austérité et de compressions budgétaires dans les programmes
sociaux. Le bref retour au pouvoir du Parti Québécois entre septembre 2012 et
avril 2014 a été fort décevant. Après avoir annulé la hausse drastique des
frais de scolarité décrétée par le gouvernement de Jean Charest en 2012 et qui
a déclenché le célèbre "Printemps érable", le PQ a procédé à des
coupures budgétaires, notamment à l'aide sociale, et il s'était engagé à
augmenter les tarifs de garderies de 2$ en deux ans. La désillusion envers le
PQ combinée au fiasco de la Charte des
valeurs québécoises a mené à la déroute électorale du 7 avril 2014 et au retour
au pouvoir du PLQ. L'ex-PDG de Québécor, Pierre-Karl Péladeau a voulu se présenter
en sauveur du Parti Québécois, mais à peine un an après son élection à la
chefferie du parti il démissionna. Tout ceci montre l'impasse du souverainisme
bourgeois du PQ et la nécessité d'une alternative indépendantiste et
socialiste.
Depuis le 1er octobre 2018 nous sommes sous la gouverne de la
Coalition Avenir Québec, un parti autonomiste dans la lignée de Maurice
Duplessis, qui réclame plus de pouvoirs pour le Québec sans pour autant aspirer
à l'indépendance de notre nation. Son programme économique est typiquement
néolibéral et son chef François Legault est l'ancien PDG d'Air Transat. Le 28
mars 2019 la CAQ a déposé un projet de loi sur la laïcité, le projet de loi 21,
qui interdit le port de signes religieux pour les employés de la fonction
publique en situation d'autorité, incluant les enseignants et enseignantes. C'est un pas en avant pour
la défense de l'identité québécoise et le gouvernement canadien a très
clairement démontré son hostilité, tout comme le maire de la municipalité
d'Hampstead, William Steinberg, un juif anglophone très antiquébécois. Ce dernier
a même parlé de "nettoyage ethnique", comme si les Israéliens
n'étaient pas en train d'en commettre un en Palestine (7)! Sans surprise
la plus grande partie de la gauche québécoise, Québec Solidaire en tête, est
contre ce projet de loi et préfère défendre les minorités religieuses plutôt
que la classe ouvrière.
Au Québec le
patriotisme ne peut avoir de sens que s’il est fusionné avec le socialisme et
le renversement du capitalisme. Sinon nous ne ferons que reproduire le système
canadien sur une plus petite échelle et nous serons toujours aux prises avec
les mêmes injustices sociales et économiques causées par le système capitaliste
exploiteur, apatride et de plus en plus brutal.
Pour la libération
nationale et sociale du Québec!
Richard Chartrand
(1) L’ABC de l’UCL, Brochure de l’Union Communiste Libertaire, p.6
(2) Michel Chartrand est en général très apprécié par les anarchistes à
cause de son syndicalisme combatif. Par contre sa célèbre phrase sur le
capitalisme apatride est toujours passée sous silence par eux, tout comme ils
minimisent très souvent son activisme patriotique pour ne parler que du combat
syndical et socialiste. Pour les anarchistes il ne peut y avoir de liens entre
les deux.
(4) «Le rôle du parti communiste chinois dans la guerre nationale» dans
Textes choisis de Mao Tsetoung, Éditions en Langues Étrangères, Pékin, 1972,
pp.149-150
(5) Hoxha, Enver, Quand on jetait les fondements de l’Albanie nouvelle,
Institut Marx, Engels, Lénine, Staline, Toronto, 1985, p.11
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